Le manque de reconnaissance des « jeunes aidants »

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En France, ils sont les grands invisibles, notamment des services de santé. Pourtant, ces enfants et ces adolescents apportent une aide significative et régulière à un proche avec une maladie ou en situation de handicap. Ils soutiennent le plus souvent un parent, un frère ou une sœur, ou un grand-parent.

Au-delà du fait de préparer les repas ou de faire le ménage ou les courses, ces jeunes vont aussi soutenir le proche aidé directement, en lui apportant un soutien moral, mais aussi parfois en l’accompagnant à l’hôpital, en l’aidant à s’habiller ou à faire des soins.

Les jeunes aidants ont un rôle essentiel dans l’accompagnement des malades mais restent méconnus dans l’hexagone. Or ce rôle peut avoir de nombreuses conséquences sur leur santé physique et mentale, pesant sur leurs activités sociales, engendrant plus d’isolement et de difficultés scolaires.

Des jeunes trop invisibles

Imaginez que, quelque part en France, vous interrogiez un adulte dans la rue pour lui demander ce qu’est un jeune aidant. Il est fort probable qu’il soit incapable de vous dire ce dont il s’agit. Posez la même question au Royaume-Uni, vous aurez une réponse complète.

Pourquoi ? Parce que là-bas, cette situation est largement connue et reconnue. Cela fait plus de 20 ans que des recherches y sont menées à ce sujet, donnant lieu à la création de services dédiés à ces jeunes sur le plan local et national (soutien, séjours de répit, accompagnement scolaire…). Cela a également permis le développement de politiques publiques avec des droits spécifiques liés aux besoins de ces jeunes (bourses scolaires…).

Teaser Plus Grand Que Soi, documentaire de François Chilowicz diffusé en 2021.

À l’heure actuelle, le Royaume-Uni est le pays le mieux placé sur l’échelle de la reconnaissance des jeunes aidants, mais d’autres pays sont également bien avancés comme l’Australie, la Norvège ou la Suède. Ces pays n’ont pas de droits spécifiques pour les jeunes aidants, mais les professionnels qui prennent en charge les patients présentant des maladies chroniques ou mentales, ou un handicap, adoptent une approche familiale des situations, favorisant ainsi l’identification et le soutien des jeunes aidants.

En France, la prise en charge médicale est encore trop souvent centrée exclusivement sur le patient, et ne permet pas de repérer les situations d’aidance des jeunes. Souvent, les professionnels ne savent même pas qui habite avec leur patient et apporte de l’aide informelle.

En 2019, pour la première fois, les jeunes aidants ont été reconnus par le gouvernement français à travers la stratégie de mobilisation et de soutien « Agir pour les aidants ». Une des priorités de cette stratégie proposait deux mesures :

  • la sensibilisation des personnels de l’éducation nationale pour repérer et orienter les jeunes aidants ;
  • l’aménagement des rythmes d’études pour les étudiants aidants.

Avant 2019, seule l’association nationale Jeunes aidants ensemble (JADE) travaillait à favoriser la reconnaissance des jeunes aidants et le développement de réponses à leurs besoins, notamment à travers les ateliers cinéma-répit.

Premières données

Depuis 2020, la prise de conscience du phénomène progresse et quelques structures – associations, fondations, plates-formes d’aide aux aidants – ont mis en place des soutiens spécifiques. Malheureusement, ces services restent très limités géographiquement et sont à élargir à travers l’ensemble du territoire.

A l’étranger, la recherche a largement contribué à faire avancer la reconnaissance des jeunes aidants et à permettre de construire des accompagnements spécifiques et adaptés à leurs besoins. En France, de premières données ont été diffusées en 2017, grâce à l’enquête Novartis – Ipsos « Qui sont les jeunes aidants aujourd’hui en France ? » Elles ont permis de mettre en lumière la situation de ces jeunes, jusque-là largement invisibles.

En parallèle, le programme de recherche JAID (Recherches sur les Jeunes AIDants), mené au sein du Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé (LPPS, UR 4057) de l’université de Paris, a permis de développer plusieurs études directement auprès des jeunes, mais aussi auprès des professionnels pour explorer leurs connaissances et pratiques.

Ces travaux ont notamment permis de montrer, sur un échantillon de plus de 4000 lycéens, que 43 % des jeunes avaient un proche malade et que 14,3 % étaient en situation d’aidance, soit 3 à 4 jeunes par classe ! Les résultats montrent également qu’il s’agit majoritairement de filles (3 jeunes aidants sur 4), le proche malade étant le plus souvent un parent (30 % des mères, et 31 % des pères), avec une maladie grave ou chronique dans 70 % des cas (diabète, cancer, maladie cardiaque ou neurodégénérative…). Près de 40 % des jeunes aidants ont plusieurs proches malades dans leur entourage.

Concernant les personnels de l’Éducation nationale, une étude menée auprès d’un échantillon de 33 professionnels a montré que, si la majorité n’a jamais entendu parler du terme « jeune aidant », plus de la moitié en a déjà rencontré. Ce sont les professionnels médico-sociaux et les conseillers principaux d’éducation qui les identifient le mieux. Toutefois, ils ne mettent en place que peu d’actions pour aider ces jeunes, principalement par manque de temps et de connaissance du phénomène.

En ce qui concerne les professionnels de santé, une étude menée en oncologie montre des résultats très proches et souligne qu’il est difficile pour les professionnels d’imaginer qu’un enfant ou un adolescent puisse avoir un rôle d’aidant, et ce d’autant plus que cet enfant est jeune. Pourtant, des travaux internationaux ont clairement montré des situations d’aidance dès l’âge de 5 ans.

Qui sont les jeunes aidants au lycée ? Résultats de l’étude ADOCARE (janvier 2022).

Ces premières données françaises rejoignent en partie celles observées dans d’autres pays. Elles soulignent l’importance de cette situation et la nécessité de la rendre plus visible. A l’école comme à l’hôpital, chaque professionnel peut avoir un rôle clé dans le repérage des jeunes aidants. C’est cette augmentation de la capacité à identifier ces jeunes qui permettra de leur proposer des soutiens adaptés.

À l’heure actuelle, un premier programme de sensibilisation des personnels de l’éducation nationale à la jeune aidance est en cours d’expérimentation dans quatre régions. Si les résultats sont concluants, il sera indispensable de l’étendre à l’ensemble du territoire et de conduire une réflexion approfondie sur le soutien à apporter aux jeunes aidants tout au long de leur scolarité.

Ce type de sensibilisation sera également à développer auprès des professionnels hospitaliers travaillant auprès des proches aidés par les jeunes, mais aussi des structures spécialisées dans l’accompagnement des enfants et des adolescents (espace santé jeunes, maison des adolescents…).

Si les jeunes aidants ont été longtemps ignorés en France, probablement par peur de lever un tabou sur une population vulnérable, et pour laquelle il existe peu de solutions d’accompagnement adaptées, les premières données dont on dispose incitent à l’action. La stratégie gouvernementale est un premier pas, mais beaucoup reste à faire, et chacun peut y prendre part en commençant par reconnaître que ces jeunes aidants existent, et qu’eux aussi peuvent avoir besoin d’aide.

Aurélie Untas, Professeure de psychopathologie, Université de Paris et Géraldine Dorard, Maîtresse de conférences en psychologie, Université de Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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